Solve e Coagula

Les flammes commencent à lécher la cuve. Le bois mort se consume dans le berceau brûlant.

Mais déjà la flamme crisse, la flamme crépite et pousse son premier cri liquide dans le four métal hurlant. Au premier étage, la cuve est grosse d’une eau limpide encore froide mais les caresses répétées de la langue de feu l’échauffent…

Son corps c’est le cuivre , ce métal  qui signe la couleur. L’eau frémit dans ses flancs et déjà bouillonne ; c’est le souffle vapeur de ses entrailles.

Le feu passe dans l’eau, la vapeur surgit, la vapeur lui monte à la tête!

Elle traverse alors la grille perforée à la base de la colonne et s’introduit.

L’organe cuivré de mister lambic, rempli de plante médecine, exulte…

A l’intérieur, la vapeur pénètre le genévrier, la vapeur fait naître la paix. Sous l’effet de la chaleur de flamme et de la pression, les poches à essence se dilatent et éclatent à volupté ..

Les molécules essentielles projetées hors de leur corps se volatilisent et passent à l’état gazeux. 

Le courant de vapeur d’eau les emporte, l’alambic est brûlant.. Les volutes aromatiques remontent le long de la colonne, passent par le chapiteau et glissent dans les tubulures. Dans le refroidisseur, le serpent barbotte dans l’eau froide. Il attend sournois , le moment propice. L’esprit volatil du genévrier arrive et passe dans le serpent.

Réveil !

Il a bon teint et le capture .Le bouillon de molécules vapeur imbibe le serpentin. Il rougit .La chaleur est torride ..mais à l’extérieur l’eau est froide !  Si froide que les particules médicinales se condensent. Transmutation ! Passage de l’état gazeux à l’état liquide !

A ce moment précis, la narine frémit d’extase ! La cloison nasale vibre et résonne . Les poils du nez se dressent évacuant au passage les derniers résidus de morve .

Les particules aromatiques pénètrent la muqueuse en émoi, les cils naseaux clignent, l’odeur assaille les neurones olfactifs  qui envoient alors les premiers signaux électriques et bientôt le bulbe olfactif puis tout le cortex cérébral exultent sous la fragrance ! La molécule odorante a  pénetré…

A la sortie du refroidisseur, le genévrier revient à lui. Il est devenu huile essentielle, cinquième essence qui révèle au monde l’existence de la troisième narine…!

Le feu passe dans l’eau, l’eau passe par la terre qui passe dans l’air.

Apparition du cinquième élément : l’huile essentielle, ma précieuse !

Quand on l’inspire, l’odeur ça inspire…

 

Sans titreTémoin d’une animalité qu’on étouffe et qu’on réprime, le nez nous parle de la vie des corps…

L’odeur rôde, l’odeur se répand, l’odeur se volatilise…

Mais quel est donc ce corps étrange et invisible qui se déplace au gré du vent, ces molécules aériennes qui enivrent où écoeurent ?

Comment décrire une senteur ?

On emprunte au  langage de la musique, de la peinture, de la cuisine ; le parfum du pin sylvestre, du genévrier,ces notes vertes , boisées, acidulées…

Mais quelle est la langue des odeurs ?

Corps à corps

Si la rétine a détrônée la narine, le nez reste au centre du visage !

Au virage, tournez à gauche et éloignez vous du mirage des yeux. Vous entendrez bientôt le petit peuple des narines qui dodeline sous l’effluve des lieux. Lilas, glycine, chèvrefeuille, myrrhe, benjoin…

Les molécules odorantes dansent, les volutes parfumées modèlent le geste.

Mellan-detail-spirale

Ouvrez grand vos narines, écoutez les odeurs, donnez leur à caresser votre âme!

Le monde vous pénètre par le nez. Sentez, sniffez…

Vos cils naseaux clignent, votre cloison nasale frémit, le musc et le benjoin envahissent le cockpit.
Votre bas ventre s’échauffe et la colonne vertébrale frétille.


Alors vous suez, vous suez si fort que chaque goutte qui ruisselle sur votre peau amène avec elle un peu de votre suc intime, un peu de cette sécrétion animale et baroque, vous savez, boisée, balsamique , un peu râpeuse et un peu d’essence florale aussi, néroli, patchouli, verveine…

Alors vous perdez les eaux…
Je les distille, elles s’évaporent.


Je les condense, elles se cristallisent !